L'autre 11 septembre
Lorsque j'atterris à New-York (du moins, passé le seuil de la douane, avec autant de peur au ventre qu'un adolescent mal dégrossi à l'entrée des Bains-Douche un samedi vers minuit), je sentis ce choc, ce souffle barbare qu'exprimait un certain Claude Nougaro.
Dès les premiers pas, les premiers mots, les premières routes, les premiers métros, les premières silhouettes, un sentiment de déjà-vu m'envahissait.


Une étrange familiarité, puisée dans une imagerie télévisuelle enregistrées depuis l'enfance, nous guida avec légèreté, au devant de nos obligations.
A mesure que se déroulait devant nous le décor réel de ces bâtiments défiant le ciel, de ces rue baignées dans les vapeurs de la chaussée et emplies des bruits de la ville, de sirènes hurlantes et de passants pressés, notre imaginaire grandit, se dilatât, se remémorât et emplit l'espace de notre corps, révélant en nous les héros dormant de notre génération.


C'est avec une agréable rapidité que nous devenions ce voyageur moderne autour duquel l'agitation de l'univers gravitait paisiblement, absolument pas perturbé par une quelconque rupture civilisationnelle. La muse de l'évidence nous transportait vers des lieux singuliers et authentiques, ciselés par la main invisible d'un artisan inspiré. Ici un cyber-café tout en parquet et en fauteuils chesterfield, qui évoquait l'atmosphère amicale d'une célèbre série tv. Là, un supermarché 100% bio où l'on pouvait faire ses courses après 22h. Ici encore, un Delicatessen qui servait des sandwichs au rôti et aux pickles dans un authentique décor de road-movie.


Il est vrai que la nourriture est omni-présente à NY, peut être d'avantage que sur le vieux continent et elle ponctue nos déplacements, sans qu'interviennent des notions de contrainte ou de culpabilité.
Manger est un plaisir pour les papilles en même temps qu'un spectacle pour les sens, à l'image de cet incroyable restaurant à burger (plutôt un boui-boui), lambrissé de bois et couvert de graffitis, caché derrière l'immense rideau de velours du hall d'un palace de la ville ou encore ce mythique club de jazz où on peut bruncher à toute heure en écoutant de la musique. Bien sûr, on est pas dupe des lieux que l'on visite, aux carrefours des grandes flux du tourisme, mais l'impression d'authenticité nous rassure et mis à part quelques lieux criards du commerce mondial, on se sent partout (et souvent) comme en immersion dans la ville.


L'assemblage asymétrique des influences architecturales, écrasés par d'incroyables pressions culturelles et historiques, économiques, savantes et aléatoires et par les courants de l'éthiques et de l'avant-gardisme confère à la ville ce statut iconique de patchwork mondial. Les multitude d'échoppes, d'où s'échappent les effluves parfumées des 5 continent côtoient les poids lourd de l'agro-industrie avec leurs émanations olfactives universellement lissées, les boutiques bringuebalantes d'articles démodés enchevêtrés aux monstres de verre et d'aciers designés dans des bureaux d'études. Les majestueux bâtiments qui pourraient avoir abrité Lincoln ou Jefferson s'ouvrent sur des avenues modernes et des parcs où coexistent petits américains métissés et traders relax. Les rues, larges, comme destinées à accueillir des parades militaires, sont tour à tour bordées d'immeubles de bureaux aux open-space surplombant le théâtre de la ville, de sièges des compagnies qui détermine la vie et la mort des nations, d'écrans géants prônant avec superbe la compulsion consumériste et spéculative des enseignes mondialisés, de théâtres incubateurs qui diffuseront aux quatre coins de la planète leurs oeuvres formatées...
Et partout le jaune des taxis.


Puis, à mesure que l'on se dirige vers son refuge, les quartiers se dessinent, les skyscrappers laissent la place aux Blocks de quartiers tous plus ou moins huppés, tous plus ou moins bobos, avec leurs bars populaires bondés, leurs épiceries qui vendent des cigarettes à l'unité, leurs églises pentecôtistes, adventistes, latinos ou afro, leurs playground de basket, leurs bouches de métro, leurs faunes, leurs héros anonymes aux silhouettes racées, aux coiffures travaillées, à l'arrogance assumée.
On arrive par le jeu indolore d'une pérégrination nonchalante ( Ponctuée de bannières étoilées flottant fièrement sur chaque façade, sur chaque échoppe, au moindre recoin disponible d'espace, comme la preuve d'une adhésion sans concession à ce pays) au bas d'un petit immeuble qui sera sera notre aire d'envol pour la semaine. Notre attente ne sera pas déçue et nous partagerons un authentique appartement exigu du lower east-side, tout en briques et en bruits.
Notre hôte qui pratiquait honteusement sa première sous-location sur AirBnB nous y laissera seuls, non sans avoir partagé avec nous une agréable soirée, préférant rejoindre sa récente dulcinée à quelques encablures de la pomme.



Nous aurons la chance, le privilège, l'excitation, l'émotion de nous réveiller à New-York un 11 septembre 2011. Jour d'anniversaire de cette date symbolique qui nous fit passer dans un nouveau millénaire, celui d'une guerre rampante et globale dont nous découvririons bientôt des métastases dans toutes les mégapoles du monde.
Cette journée, sans être particulièrement marquée par une chaleur particulière était chargée d'une dose d'émotion construite par 10 années de stupeur et par quelques images passées en boucles d'avions percutant des tours. Nous l'abordâmes avec la décence qu'exige un de ces moments unique -teintée de curiosité et bien entendu, de l'avidité du chasseur d'images.


Après quelques correspondance de métro, nous nous retrouvions assez vite à quelques dizaines de mètres du lieu où 10 ans auparavant, 2 tours jumelles s'étaient effondrées dans un fracas inimaginable de béton, de verre et d'acier, laissant derrière elles un cratère béant au coeur de la capitale du monde en même temps qu'une cicatrice dans l'histoire. A quelques dizaine de mètres de là, à l'écart de la foule, Obama disait un discours d'une solennité sans égale, devant un parterre d'officiels et de familles de victimes, sous l'oeil humide des caméras du monde entier. L'atmosphère était figée dans une pesanteur de recueillement que même les drapeaux en berne, érigés en (sur)nombre en hommage aux victimes, n'osaient défier. L'attitude nerveuse et précise des policiers en surnombre conférait un léger état de vigilance paranoïaque.



Malgré l'absence de toute perspective réjouissante, la seule conscience d'être là en même temps que l'espérance d'une pêche abondante d'image suffisaient à supporter l'immobilisme.
Puis, (peut être avions-nous migré dans quelques rues adjacentes, je ne m'en souviens plus) l'impensable arriva. Je dis l'impensable au regard de cette éducation formatée de citoyen français, pétrie de culpabilité judéo-chrétienne qui fait les manichéismes serviles et les morales muselées.
A quelques mètres du plus gros attentat attentat contre l'occident de tous les temps, au coeur de la place financière la plus impitoyable de la planète, alors que j'étais à deux doigts de mettre ma main sur mon coeur et d'entonner un "Amazing Grace", je fus décontenancé par ce que je vis.



Une procession approchait. Une procession bigarrée, véhémente mais digne, contenue par des forces de l'ordre étrangement placides, un cortège bondissant constitué d'individus qui scandait des slogans incompréhensibles.
Les sens ont parfois du mal à cerner et à définir une situation dans un contexte nouveau. Lorsque s'ajoute à cela la barrière de la langue, l'incrédulité peut retarder le processus mental qui mène à la compréhension.
Puis on saisit des mots, des formes, des symboles chargés et connotés. Des foulard islamique, des mots en arabe puis des slogans sans équivoque comme "Stop bombing" ou "We are all human" et qui terminent de parachever l'impression naissante, diamétralement opposée avec ce qui était en train de se passer quelques instant avant. On se rend compte que cette foule unie et métissée, est en train de réaliser une contre manifestation en plein coeur de ce deuil national. On voit des gens, animés par ce qui ressemble à une cohésion pacifiste, huer et vilipender les méfaits de 10 années de politiques militariste américaine au moyen, proche, éloigné orient. On voit des slogans, parfois scandés qui conspuent wall street, l'argent, la guerre et ce que l'Amérique compte de moins glorieux. Son hégémonisme guerrier. Sa civilisation débordante. Son impérialisme insatiable.



A cet instant, je sais que tout ce qui est en train de se passer est bien réel et j'en accepte la probabilité en même temps que j'essaye d'en comprendre le mécanisme. Les américains, heurtés dans leur chair, ne devraient-ils pas être en en train de communier ensemble, si ce n'est contre un ennemi commun, au moins dans un recueillement solidaire ? Comment se fait-il que ce pays qui à donné ses tristes lettres de noblesse à la notion de patriotisme, tolère que parmi ses citoyens s'érige une dissidence sans honte ?
Alors que ces pensées déroutantes m'assaillent, en même temps que je prends des photos, la procession s'arrête et, comme mue par une sorte de chorégraphie que les maitres de l'entertainement maitrisent, s'agence, se transforme et s'organise en une conférence de rue. Une estrade que je n'avais pas remarquée est floquée de slogans et de photos aux significations évidentes. La foule s'arrête et se stabilise. Un micro est placé et ajusté. Au bout de quelques instants qui semblent maitrisés, sans qu'aucune longueur ne soit ressentie, un premier orateur arrive sur scène.


Il n'a pas le look de Georges Clooney mais plutôt singulier avec ses longs cheveux roux ondulés, sa barbe naissante, sa corpulence moyenne et sa chemise canadienne. Il ne ressemble même pas à l'image que je me fais d'un leader syndical (si tant est qu'il en existe une ) mais l'homme, plutôt assez jeune (25 ans) est un tribun. Il se dresse face à Wall Street, 10 ans après les attentas du 11 septembre et déclame un discours inspiré, enflammé, argumenté, devant une foule qui l'approuve et l'encourage. Les arguments sont assez simples à comprendre et ils imputent à l'occident, l'Amérique et la finance la responsabilité du chaos mondial. Déjà à l'époque, au pieds de Ground Zero on peut entendre "Stop Bombing Syria" alors qu'en France, Bigard se fait doucement éconduire dans ses spéculations complotistes. L'hallucination totale. S'en suivront une demie-douzaine d'intervenants : femmes, hommes, musulmans, noirs ... qui manieront le verbe avec la verve d'un Zola.


Alors que les cartes mémoires de mon appareil se remplissent plus vite qu'une bouteille de rosé se vide, je dois faire face à ce constat: Nous sommes bien au pays de la liberté où l'adage (pseudo Voltairien) "Je ne suis pas d'accord avec vous..." revêt une dimension d'absolu. Le fait n'est pas de débattre sur l'origine des maux du monde (du moins pas ici) mais de vous retranscrire la stupéfaction qui fût la mienne.

Sur-ce, je vous invite à regarder un très bon épisode de South Park qui exprime parfaitement cette spécificité américaine : South Park, les pères fondateurs.
A bientôt